Ados et alimentation
Aide à l’action -Introduction
La place de l’alimentation et de l’activité physique
dans le processus de l’adolescence
À l’adolescence comme à tous les âges de la vie, l’acte alimentaire est porteur de
significations complexes, qui trouvent leur origine dans la vie psychique, biologique et sociale
de chacun. Expression d’un besoin physiologique fondamental, cet acte est également pris
dans les désirs souvent contradictoires sous-jacents à tout comportement humain, et relié
intimement à l’histoire de chaque sujet.
À l’adolescence, cette histoire se caractérise non seulement par les bouleversements
physiologiques de la puberté, mais aussi par les changements affectant les équilibres établis
durant l’enfance, dans le champ psychologique et affectif d’une part, dans le champ social
et relationnel d’autre part. Ces changements exercent naturellement une forte influence sur
le rapport de l’adolescent à lui-même, à autrui et par conséquent, sur ses comportements
de santé en général et sur son alimentation ou son activité physique en particulier.
L’adolescence en tant que processus psycho-affectif
La problématique du corps
La problématique du corps est essentielle dans le processus de l’adolescence. Objet
de préoccupations anxieuses et de rejet tout autant que d’attention minutieuse et de
contemplation émerveillée, ce corps en transformation suscite chez l’adolescent des
attentes et des craintes centrales dans son rapport à l’alimentation et à l’activité physique.
Ainsi, le regard porté par l’adolescent sur son propre corps va l’amener à adopter des
comportements où transparaissent son ambivalence vis-à-vis de sa maturation sexuelle et
les désirs contradictoires qu’elle suscite. En apparence paradoxaux, ces comportements
reflètent en réalité la difficulté de l’adolescent à gérer le changement du statut de son
corps : d’instrument à entretenir et utiliser (pour courir, sauter, jouer…), d’objet de soin en
cas de maladie, le corps devient avant tout support sexué du rapport à l’autre : corps pour
montrer et se montrer, pour séduire, danser, aimer…
Les représentations de la santé et de la prévention sont à l’adolescence étroitement
dépendantes de cette évolution de l’image du corps, comprise comme la synthèse
vivante, dynamique et actuelle des expériences émotionnelles et relationnelles passées
de l’adolescent. Le réajustement de l’image du corps s’effectue non seulement pour soi-
même mais aussi sous le regard de l’autre : l’autre adulte (parent, enseignant, médecin…)
qui prend acte des changements en cours chez l’adolescent, souvent en silence, avec
embarras, parfois avec une ironie teintée de séduction, ou encore, avec un discours
biologique qui élude les émois, les sentiments et les sensations qui agitent l’adolescent ;
et l’autre adolescent (ami, copain, pairs…) auprès de qui il va chercher une réassurance
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sur sa normalité, sa conformité, sa valeur, à travers l’écho d’une expérience partagée
par ses semblables et le développement de goûts spécifiques, démarqués de ceux des
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adultes. D’où la mise au premier plan de valeurs de jouissance immédiate (sortir, rencontrer
des amis, écouter de la musique, expérimenter les capacités amoureuses ou sexuelles,
rechercher des sensations nouvelles au travers de l’usage de substances psycho-actives,
etc.). Ces valeurs sont opposées aux valeurs de préparation des adultes, qui visent une
satisfaction différée (travailler ou prendre soin de sa santé pour plus tard, prévoir, etc.). Cette
attitude a des conséquences évidentes sur la réceptivité des adolescents aux discours de
la prévention centrés sur la précaution, la prévision, la « gestion d’un capital-santé »…
Ces discours viennent déranger leur conception de la mauvaise santé qui, pour la plupart
d’entre eux, ne peut résulter que d’atteintes extérieures imprévisibles, accidentelles et
improbables en ce qui les concerne.
Ce n’est qu’à la fin de l’adolescence que la dénégation du vieillissement et de la mortalité
va céder, souvent non sans réticence et parfois de façon très angoissante, pour laisser
apparaître la notion d’un devenir, la prise de conscience d’une évolution inéluctable qui
inclut de façon solidaire la sexualité et la mort : devenir un homme ou une femme, avoir
à son tour des enfants, les élever puis leur laisser la place. Cette prise de conscience va
permettre la mise en place progressive d’une conception évolutive de la santé comme
potentiel à préserver des atteintes du temps et des agressions de la vie.
Le travail de deuil
À toutes les modifications qui viennent d’être évoquées s’ajoute le travail de deuil lié à
l’expérience de séparation des personnes influentes de l’enfance et à un changement
dans les modes relationnels, l’adolescent se dégageant de ses attachements infantiles
pour se tourner vers des objets d’amour extra-familiaux. Ce processus de différentiation,
indispensable à l’exercice d’une pensée propre, à l‘appropriation du corps sexué et à
l’utilisation des qualités créatrices, est aidé par la fin de l’idéalisation des parents qui était
propre à l’enfance. Percevant désormais ses parents de façon réaliste, l’adolescent va
trouver la force de rompre les liens d’attachement qui le liaient profondément à eux, au
profit de nouvelles rencontres, de nouvelles relations amoureuses et de nouveaux centres
d’intérêts.
À côté de ces nouveaux attachements, l’adolescent doit également se choisir lui-même en
tant qu’objet d’intérêt, de respect et d’estime. Plusieurs obstacles peuvent entraver cette
construction d’un narcissisme adulte, dont les plus importants sont la prise de conscience
de ses propres limites et de la limitation des possibles sur le plan social, ainsi que le
sentiment de décevoir les espoirs parentaux.
À la remise en cause des liens familiaux s’ajoute la perte des repères corporels familiers
issus de l’enfance : non seulement le corps change de façon spectaculaire, mais il perd
en habileté, en aisance et en souplesse. Cette perte est heureusement compensée par la
perception de nouvelles potentialités et l’accès à de nouveaux plaisirs. De manière encore
plus essentielle, certains adolescents ont le sentiment de s’être perdus eux-mêmes, de ne
plus se reconnaître, de se trouver désarmés face au jugement d’autrui. Considérant d’un
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oeil critique la morale transmise par les adultes, ils sont confrontés à l’obligation de se
constituer leurs propres valeurs et d’élaborer leur propre regard sur les êtres et le monde
qui les entoure.
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Ils sont aidés en cela par le bouleversement de leur structure cognitive, caractérisé par la
capacité à formuler et vérifier des hypothèses, un accès facilité à l’abstraction et l’acquisition
d’une intelligence accrue des relations sociales.
Il est aisé de comprendre que cette accumulation de pertes, même compensée partiellement
par des acquis, produise chez tout adolescent de la tristesse, de l’inhibition ou de l’agressivité,
de la colère, qu’il convient, sans les ignorer, de traiter sans dramatisation excessive.
L’adolescence en tant que processus socio-relationnel
L’adolescent qui prend ses distances avec ses parents perd du même coup les bases
identificatoires de son enfance et ressent alors le besoin de rechercher de nouveaux
supports d’identification, dans un groupe social, dans ses racines culturelles, ou auprès de
ses grands-parents, souvent épargnés par les conflits avec l’adolescent. La norme sociale,
la pression du groupe des pairs, prennent alors une place centrale dans les orientations et
les choix de l’adolescent, poussé à la fois par la volonté de se différencier de la génération
de ses parents, et le désir de se conformer aux goûts et aux valeurs de ses pairs. Cette
quête de conformisme peut entraîner l’adolescent à adopter des conduites perçues
comme incohérentes ou absurdes, voire caricaturales. Les comportements de santé ne
sont évidemment pas épargnés par ce besoin d’identification aux membres du groupe
choisi par l’adolescent.
Ce processus ne va pas sans contradictions ou retours en arrière, puisque l’adolescent qui
réclame avec vigueur son autonomie et valorise crânement son individualité, reste en réalité
profondément dépendant du cadre familial de son enfance. L’adolescent est effet pris dans
une alternative paradoxale : il doit rompre avec ses parents pour découvrir son identité
d’adulte, mais ne peut retrouver les fondements de cette identité qu’à travers l’inscription
dans son histoire familiale.
Deux éléments de contexte peuvent venir encore complexifier cette problématique. Le
premier est l’éventuelle survenue concomitante, chez les parents, d’une crise du milieu
de la vie se caractérisant notamment par une angoisse accrue face au temps qui passe et
des sentiments de pertes irréversibles. Le second peut être lié à la situation de la famille
sur le plan de l’immigration. Il est effet fréquent d’observer, dans les familles issues de
l’immigration de première génération, l’existence de difficultés externes d’adaptation, dans
la deuxième génération, une intégration fondée sur l’adoption des modèles culturels du
pays d’accueil au prix d’un abandon des modèles du pays d’origine, et dans la troisième
génération, la recherche nostalgique et souvent idéalisée des valeurs culturelles originelles.
Les représentations de la santé existant chez les adolescents issus de l’immigration sont
étroitement dépendantes de ce rapport entre les habitudes et valeurs du pays d’origine de
la famille et les normes et les attentes véhiculées par les institutions du pays d’accueil.
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La place de l’alimentation et de l’activité physique dans le processus de l’adolescence
Conséquences en termes de rapport à l’alimentation et à l’activité physique
Face à ces multiples bouleversements et tâches à accomplir, confronté à sa propre
vulnérabilité et incertain quant à ses compétences et potentialités, l’adolescent peut
chercher à se réfugier dans des comportements identifiés comme néfastes. C’est là l’un
des points centraux du malentendu persistant entre les adolescents et les professionnels
de la santé : ce que ces derniers considèrent comme des problèmes constituent pour les
adolescents des réponses aux difficultés existentielles propres à la période de transition
qu’ils traversent.
On peut ainsi constater chez certains adolescents l’utilisation de l’alimentation et de l’activité
ou l’inactivité physique comme expressions de leur besoin de régression et de maîtrise,
comme moyens de défense, d’expression ou de relation, où dominent la mise en question
de la définition d’un corps sexué et la volonté de maintenir la sexualité à distance. C’est
ce qui est à l’oeuvre dans les conduites caractérisées par l’hyperactivité, l’engagement
intensif dans les activités sportives ou le contrôle excessif des apports nutritionnels. C’est
également ce dont témoignent l’inactivité, la sédentarité liée aux loisirs immobiles (télévision,
jeux vidéo, Internet), l’hyperphagie ou le grignotage.
D’une façon générale, les perturbations des conduites alimentaires correspondent à des
situations où la corpulence ou l’absorption alimentaire constituent des tentatives pour
résoudre ou dissimuler des problèmes adaptatifs internes ou externes. Ces perturbations
incluent aussi bien la fringale (réponse à une impérieuse sensation de faim, par exemple
au retour de la piscine), le grignotage (associé à l’ennui, à la culpabilité et à l’inaction, en
l’absence d’une réelle sensation de faim), ou le régime alimentaire lié à des préoccupations
esthétiques raisonnables, que des manifestations pathologiques telles que la boulimie,
l’hyperphagie ou la réduction alimentaire chroniques. Seules ces dernières, auxquelles est
associée une sensation de perte de contrôle, présentent un véritable caractère de gravité.
Une prise en charge médicale et/ou psychologique est alors souhaitable dans un certain
nombre de situations. Par exemple, dans le cas où l’adolescent s’enferme durablement
dans une régression où prédominent les modes de satisfaction éprouvés durant l’enfance
et perçus comme non menaçants. Elle est également nécessaire dans les cas où le
désir d’appropriation et de maîtrise des besoins corporels s’inscrit dans un processus
douloureux de séparation d’avec les parents, où s’affrontent la volonté de ces derniers
de maintenir l’équilibre alimentaire et la volonté de l’adolescent de s’alimenter selon ses
critères personnels, ce qui peut provoquer la focalisation autour du repas familial du
conflit adolescent-parents. Elle se justifie enfin quand le besoin d’absorption de nourriture
s’apparente à un remplissage, témoignant ainsi d’une lutte contre le vide, la solitude, le
sentiment d’inutilité, l’anxiété et la dépression.
Lorsque ce remplissage se traduit par un surpoids, voire une obésité, il suscite l’inquiétude
et la mobilisation des professionnels. Cependant, il est important néanmoins de garder à
l’esprit que la plupart du temps, l’obésité même si elle devient évidente à l’adolescence,
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succède généralement à des prises de poids durant l’enfance suite à des apports
alimentaires trop importants sur le plan quantitatif et/ou qualitatif par rapport à la dépense
énergétique (activité physique).
La place de l’alimentation et de l’activité physique dans le processus de l’adolescence
Par ailleurs, en dehors de troubles du comportement alimentaire évidents, lorsqu’il existe un
surpoids ou une obésité, il est souhaitable d’orienter l’adolescent vers un professionnel de
santé qui pourra soit s’assurer de l’existence d’une prise en charge, soit aider l’adolescent
à faire la démarche d’une prise en charge médicale.
Ainsi, l’obésité constatée à l’adolescence peut avoir plusieurs origines. Par exemple, on peut
retrouver la notion des premières expériences de satisfaction orale chaotiques, où aucune
distinction n’est faite entre la faim et les autres besoins, ce qui se traduit par un apport
de nourriture quelles que soient les manifestations du petit enfant. Ce conditionnement
peut conduire l’adolescent à recourir systématiquement à la nourriture pour rechercher
un sentiment de sécurité interne et le soulagement de toute tension. Le rôle défensif des
gratifications orales et leur origine ancienne dans l’histoire de l’individu rendent inutile et
néfaste toute mesure coercitive n’ayant pas l’accord et ne suscitant pas la participation
active de l’adolescent, et toute action ne prenant pas en considération la situation dans sa
globalité. Il peut aussi s’agir d’une obésité survenant dans le contexte d’une hyperphagie à
connotation familiale où l’adolescent obèse est incapable de reconnaître et définir de façon
autonome ses propres besoins corporels, et donc incapable de satisfaire ces besoins de
façon adaptée.
On retrouve chez tout adolescent, à des degrés divers, un désir d’affirmation de soi et
d’originalité, où s’expriment le rejet de la banalité et la volonté de se considérer comme un
être unique et indépendant. Ce désir transparaît dans ses choix alimentaires et son attitude
vis-à-vis du sport et de l’activité physique. C’est pourquoi l’on peut voir apparaître, de
façon transitoire, des lubies alimentaires ou des engouements sportifs dont il est inutile de
s’inquiéter. Ce besoin d’adopter des comportements originaux, parfois extrêmes, témoins
de l’acquisition progressive d’une identité adulte, entre évidemment en opposition avec
les messages univoques de l’éducation nutritionnelle, ou avec l’incitation à une activité
physique précisément formatée.
Parallèlement à ce désir d’originalité, les adolescents ressentent un besoin intense de
normalité, de conformité et d’acceptation par les autres adolescents. C’est ainsi que
s’installent des modes ou des tendances qui vont influencer fortement les goûts et dégoûts
alimentaires exprimés par les adolescents, leur préférence pour certains produits ou lieux de
restauration, l’attirance ou le rejet suscités par tel sport ou telle activité. Les adolescents sont
également très pudiques et jaloux de leur intimité. C’est ainsi qu’ils peuvent répugner à faire
part des habitudes alimentaires familiales, ou qu’ils peuvent demander à être dispensés de
sport pour échapper à des situations où leur corps est selon eux trop exposé. Cette pudeur
et ce besoin de se fondre dans un groupe constituent des obstacles à la participation aux
activités éducatives centrées sur l’expression collective d’un vécu personnel.
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La place de l’alimentation et de l’activité physique dans le processus de l’adolescence
Parler de nutrition ou d’activité physique à des adolescents suppose de prendre appui sur
leurs potentialités et leurs préoccupations actuelles, de connaître les difficultés auxquelles
ils sont confrontés et leurs moyens de défense, de veiller à renforcer le sentiment de leur
valeur propre et leur capacité à prendre soin d’eux-mêmes. Il s’agit moins de prévenir
la sédentarité, le déséquilibre alimentaire et leurs conséquences (obésité, maladies
cardio-vasculaires…), que leurs déterminants, c’est-à-dire le mal-être, la dépréciation
de soi, l’anxiété, la dépression. C’est à la mise en oeuvre d’une démarche de promotion
de la santé que nous invite la compréhension des troubles de l’adolescence : la création
d’environnements (scolaires, de santé…) capables de contenir et soutenir les adolescents,
l’accent mis sur le développement de leurs aptitudes, l’inscription des adolescents dans leur
communauté, le développement du sentiment d’être quelque part attendu, valorisé, aimé,
feront plus pour l’adoption de comportements favorables à la santé que la multiplication
d’actions ponctuelles sans lien entre elles. C’est cette approche compréhensive et globale
qui doit donc constituer le fil conducteur de toute intervention auprès d’adolescents.
Christine Ferron
Hôpital de jour Montsouris du Cerep
Janvier 2006
Sources bibliographiques
• Marcelli D., Braconnier A. Adolescence et psychopathologie. Paris : Masson, (Les âges
de la vie), 2004.
• Michaud P-A ., Alvin P. (Sous la direction de). La santé des adolescents – Approches,
soins, prévention. Lausanne : Payot, Paris : Doin, Montréal : Presses de l’université, 1997.
• Manidi M-J., Dafflon Arvanitou I. (coord.). Activité physique et santé – Apports des
sciences humaines et sociales, Education à la santé par l’activité physique. Paris : Masson,
2000
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